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Le 27 avril 2002, Philippe Sigaud est l'auteur de ces lignes.


Comment Caméléon est devenu une légende du Pays de Caladra

   Durant l'Age Fertile, Asrélia la Douce parcourait notre terre. Sous son pas vert jaillirent arbres et fleurs. De ses mains soyeuses elle modela les espèces animales et de son souffle parfumé elle créa les femmes. Que cette époque était joyeuse ! Nul n'y connaissait la faim ou la peur.
   Il n'existait que paix et abondance, la Déesse donnant à tous ce qu'ils voulaient.

   Parmi les grands arbres où Asrélia tenait sa cour vivait Petit Lézard Vert. Petit Lézard Vert était petit, vert... différent. Et il était le favori d'Asrélia, qui lui passait tout et supportait sans broncher ses gémissements perpétuels.

   - Pourquoi Bila Bila le Singe a-t-il des pattes qui peuvent prendre ? demanda-t-il en gémissant à la Verte Déesse.
   - Car telle est la nature de Singe, répondit la Douce Déesse. Et c'est comme cela que je l'ai voulu.
   - Moi aussi je veux des pattes qui accrochent et serrent ! couina Petit Lézard Vert.
   Et comme la Déesse l'aimait beaucoup et lui passait tout, elle lui donna des pattes comme celles du singe.

   - Pourquoi Niriss le Jaguar a-t-il une queue souple et longue ? demanda-t-il en gémissant à la Verte Déesse.
   - Car telle est la nature de Jaguar répondit la Douce Déesse. Et c'est comme cela que je l'ai voulu.
   - Moi aussi je veux une queue souple et longue qui se courbe et se délie ! couina Petit Lézard Vert.
   Et comme la Déesse l'aimait beaucoup et lui passait tout, elle lui donna une queue comme celle du jaguar.

   - Pourquoi les fleurs et les fruits ont-ils les plus belles couleurs de la jungle ? demanda-t-il en gémissant à la Verte Déesse.
   - Car telle est la nature des plantes, répondit la Douce Déesse. Et c'est comme cela que je l'ai voulu.
   - Moi aussi je veux les couleurs de toute la jungle ! couina Petit Lézard Vert.
   Et comme la Déesse l'aimait beaucoup et lui passait tout, elle lui donna les couleurs des feuilles et des fruits et même toutes celles qu'il pourrait vouloir.

   - Pourquoi Vrimia l'Oiseau a-t-il des yeux perçant et qui peuvent tout voir ? demanda-t-il en gémissant à la Verte Déesse.
   - Car telle est la nature de l'Oiseau, répondit la Douce Déesse. Et c'est comme cela que je l'ai voulu.
   - Moi aussi je veux des yeux perçant qui voient tout et partout ! couina Petit Lézard Vert.
   Et comme la Déesse l'aimait beaucoup et lui passait tout, elle lui donna des yeux comme ceux de l'oiseau et plus utiles encore.

   Mais un jour vint le Noir Dévoreur, Argan Argar et son armée des ténèbres et ils commencèrent à dévorer la jungle. Et l'on sait comment Asrélia lui avait fait don des insectes et des moisissures pour lui reprendre Caladra le Rougeoyant. Lors de l'assaut, alors que les Ténèbres encerclaient le Pays Vert, les insectes oublièrent définitivement qui était leur Mère et se mirent à manger et à se reproduire sans limite, comme les Uz. Oui, comme les Uz.

   Mais nous ne nous laissâmes pas faire : avec l'aide de Caladra et de sa Tribu d'Hommes, les dieux et les déesses, les femmes et les animaux et même les plantes participèrent à la lutte contre le Froid et le Noir.
   Et nous luttâmes tous ensemble même s'il n'y avait pas d'espoir. Et nous avons triomphé des hordes du Dévoreur, tous ensemble.

   Tous ensemble ? Pas vraiment. Car après la bataille, alors de nombreux dieux et déesses, les enfants de Caladra jonchaient le sol, emportant avec eux à tout jamais les animaux et les plantes qui leur étaient associés, alors que de grands Héros et de sages Héroïnes n'étaient plus que cadavres dévorés et emportaient avec eux des tribus et des lignées entières, on trouva Petit Lézard Vert tout tremblant, lâchement caché derrière une feuille.

   Asrélia, en fut fort en colère, car la Mère Fertile sait aussi être terrible comme l'est la forêt.

   - Petit misérable ! Que ne t'es-tu battu ? - Mais, Douce Mère, je suis tout petit ! - Et alors ? Colibri est plus petit et il s'est battu ! - Mais Douce Mère, je ne sais pas me battre ! - Et alors ? Crois-tu qu'Orchidée savait se battre ? Elle a appris, comme nous tous ici, avec l'aide de Caladra ! - Mais Douce Mère... J'ai peur ! Les ennemis sont si grands et si terribles !

   Il y eu un grand silence.

   - La vérité, souffla la Verte Déesse, c'est que j'ai été aveugle à ta nature. Tu ne penses qu'à toi ! Et ta langue agile m'a troublé l'esprit et m'a bien fait danser ! Fort bien ! Voila mon dernier don pour toi.
   Puisque ta langue est si agile, désormais elle sera ton arme. Tes autres dons je ne te les enlève pas ! Tu chasseras désormais les plus misérables et les plus petits des ennemis de la jungle. Tu mangeras les insectes que tu attraperas avec ta langue. Et je ne veux plus entendre un mot de toi : tu pourras revenir me voir quand il n'y aura plus un insecte dans le Vert Pays ! Qu'il en soit ainsi.

   Et c'est pourquoi encore de nos jours nul ici n'adore CaMéLéon (qui signifie bien Petit Lézard Vert dans notre langue) et il ne parle pas : ses enfants sont trop occupés à chasser les insectes pour retrouver les faveurs de la Déesse.

   Et que ceci vous serve de leçon, petits chenapans, si vous vous avisez de ne pas être contents de ce que vous a donné la Déesse à la naissance ! Réclamer toujours plus aux Dieux, cela se mérite, et cela est vite un poids...

Philippe